1re lecture : Exode 12, 1-8 ; 11-14 Psaume 115 2e lecture : Corinthiens 11, 23-26 Évangile : Jean 13, 1-15 |
Est-il possible dans la période où nous sommes de parler d’autres choses que de ce virus qui sème la désolation depuis des mois. Assurément en théorie c’est possible, mais pratiquement est-ce
possible et surtout est-ce pour nous souhaitable ?
- Comment pourrions célébrer la messe alors même qu’une grande partie de l’humanité est dans cette situation.
- Comment pourrions-nous célébrer l’eucharistie alors même que des malades, des familles souffrent et que tant de professionnels de toute appartenance mènent pour nous un combat exemplaire dans la fidélité à leur mission, à leur devoir d’état ?
- Et puis ce soir comment célébrer alors même que toute notre semaine sainte est totalement bouleversée et que concrètement les catholiques ne peuvent pas rejoindre ces magnifiques offices du triduum pascal en cette année 2020.
Alors sans trop tirer sur la ficelle ; nous pouvons c’est vrai, à partir de la crise sanitaire que nous vivons, mener une réflexion sur cette fête du jeudi saint.
Dans cette solennité nous le savons : Jésus livre son corps en nourriture : prenez et mangez.
En ce jour, il prend aussi soin du corps de ses apôtres, il leur lave les pieds.
Or ce virus, lui, menace notre corps et nous devons donc nous protéger ; nous sommes confinés, nous ne pouvons pas nous serrer la main, nous embrasser, nous devons rester à distance respectable. Cela nous le faisons, nous le supportons.
Mais nous mesurons de plus en plus combien cette simple consigne sanitaire a des conséquences considérables : au plan social / économique / relationnel …
Tout cela nous renvoyant à cette grande vérité de la doctrine sociale de l’Église, à savoir que l’être humain est un être social. Nous avons besoin les uns des autres, nous sommes faits pour vivre en société. Et alors que des voix s’élevaient depuis des années pour combattre la montée de l’individualisme, la crise nous révèle combien la dimension sociale de l’homme est essentielle.
Nous vivons cette expérience alors que nous fêtons ce soir la grande fête du Jeudi Saint. Et cette fête se présente de beaucoup de manières comme un remède à tous ces maux.
Que fait Jésus en effet ce Jeudi Saint ? Il réunit ses apôtres, il leur donne de vivre une expérience communautaire tout à fait décisive, ils sont dans une grand intimité avec lui :
- Il lave les pieds de ses disciples, avec ce contact physique très concret. Geste que nous ne ferons pas ce soir comme la liturgie nous le propose chaque année
- Il leur demande de se réunir en mémoire de lui pour revivre cet évènement.
Bref, Jésus en cette fête du Jeudi Saint nous redit le caractère social et communautaire de notre vie chrétienne. Elle se vit dans le service, elle se vit dans le rassemblement ; elle se vit dans la proximité chaleureuse.
Lorsque j’étais aumônier de jeunes et que j’essayais de convaincre les jeunes d’aller à la messe, j’insistais beaucoup sur le fait que la messe est le lieu du rassemblement, le lieu où l’on retrouve ses frères et que c’est une dimension constitutive de la messe. Ce n’est pas la seule bien sûr, mais elle est essentielle. Et ce soir si vous n’êtes pas avec nous dans une église il va vous manquer la communion, il va vous manquer l’adoration au reposoir, mais il va aussi vous manquer le rassemblement fraternel de la communauté.
Dans sa belle exhortation « la joie de l’évangile » le pape François disait en ce sens des paroles prophétiques : certains voudraient un Christ purement spirituel, sans chair ni croix, de même ils visent des relations interpersonnelles seulement à travers des appareils sophistiqués, des écrans et des systèmes qu’on peut mettre en marche et arrêter sur commande. Pendant ce temps-là l’Évangile nous invite toujours à courir le risque de la rencontre avec le visage de l’autre, avec sa présence physique qui interpelle, avec sa souffrance et ses demandes, avec sa joie contagieuse dans un constant corps à corps.
Entre le corps eucharistique livré par Jésus et le corps des apôtres à qui il lave les pieds, nous ne devons pas choisir, ou plutôt comme Thérèse nous devons dire : je choisis tout. Le Seigneur a associé ces deux événements, c’est un lien que nous devons toujours plus approfondir.
Comment savoir si je communie bien ? C’est sans doute en vérifiant que la communion au corps eucharistique du Christ me renvoie au service concret de mon frère.
Le temps de confinement permet de s’adonner à la lecture. Je suis en train de relire le livre volumineux de Mgr Trochu sur Saint Jean-Marie Vianney le curé d’Ars. Il est impressionnant de voir comment cet homme a une dévotion immense envers l’eucharistie, rien n’est trop beau pour Dieu dira-t-il. Et qu’il est en même temps celui qui se dépense sans compter pour ouvrir une école pour les filles abandonnées et réellement abandonnées au XIX° dans son petit village. Il y dépense toute son énergie et donne tous ses biens pour son maintien.
Frères et sœurs, vous traversez en cette année 2020 une période vraiment difficile. Car ce temps du confinement vous empêche non seulement d’avoir accès au corps eucharistique du Christ, mais il vous demande aussi une grande vigilance envers le corps physique du prochain qu’il faut servir.
Fêter aujourd’hui le Jeudi Saint c’est fêter les prêtres, c’est fêter aussi l’eucharistie dans toutes ses dimensions. Prenons ce soir l’engagement quand nous entrerons dans des temps meilleurs de venir à l’eucharistie avec un plus grand désir, une plus grande ferveur.
Prenons l’engagement d’une plus grande attention les uns envers les autres. Alors nous comprendrons la parole de Jésus : un serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni un envoyé plus
grand que celui qui l’envoie. Sachant cela, heureux êtes-vous, si vous le faites.
Mgr Jacques Habert,
Évêque de Séez